Hausse des droits de scolarité pour les Canadiens et étrangers à l’université anglaise.
On ne « renversera » pas le déclin du français à coups de mesurettes
En chute libre dans les sondages, la CAQ s’agite comme une poule pas de tête ces jours-ci, dans l’espoir de reconquérir ses parts perdues du marché électoral.
Le 13 octobre dernier, monsieur Legault nous a pondu toute une surprise. En mal de cocoricos nationalistes, le PM et la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, ont annoncé leur intention de hausser les droits de scolarité des Canadiens et des étrangers désireux d’étudier dans une université anglaise au Québec. Dans le cas des ressortissants du Canada, cette révision de la grille tarifaire fera passer la facture annuelle de 8 992 $ à près de 17 000 $. Dans le cas des étudiants internationaux, un nouveau prix plancher de 20 000 $ leur sera imposé, dont 3 000 $ serviront à financer les universités françaises. Applicables seulement au premier cycle universitaire (et à certains programmes de deuxième cycle sans mémoire), ces changements devraient entrer en vigueur à temps pour la rentrée 2024.
Le but allégué de ces mesures? D’une part, cesser de défrayer les diplômes à rabais de ces milliers d’étudiants canadiens qui viennent ici profiter des largesses de notre tissu social distinct, pour ensuite repartir (cela coûterait environ 200 millions par année aux contribuables québécois, – un véritable dîner de cons – dixit F. Lacroix). Voilà qui tombe sous le sens. Ce n’est pas trop tôt!
D’autre part, il s’agirait, par cette opération de dissuasion financière, de contribuer à la « survie » du français au Québec, rien de moins… Ainsi, la CAQ laisse-t-elle miroiter une réduction significative de la population estudiantine anglophone. Dans la foulée, on entend dégager certaines économies, voire certains bénéfices qui, semble-t-il, permettront de reverser chaque année une centaine de millions aux universités de langue française. C’est surtout de ces deux derniers aspects que je traiterai ci-devant. Aussi, je me retiendrai de trop commenter la réaction durhamienne et prévisible de l’opinion publique anglo à ces mesures, qui ne mérite même pas qu’on s’y attarde.
Moins d’étudiants canadiens et étrangers à McGill, vraiment?
Notons d’abord que la différence entre les nouveaux prix planchers établis par le gouvernement Legault et ceux exigés en moyenne au Canada n’est, globalement, pas si importante. C’est particulièrement vrai pour les programmes plus prestigieux tels que le baccalauréat en droit ou en médecine. Dans certains cas, étudier en anglais au Québec restera, pour un Canadien, un choix nettement plus avantageux que dans sa province de résidence.
Prenons un exemple. En 2023, un jeune Ontarien inscrit au baccalauréat en droit à l’Université McGill devait débourser 11 550,34 $. Sous le nouveau régime, ces frais s’élèveront à environ 20 000 $ – quelque chose comme ça. Toutefois, ce montant demeure passablement en-deçà de ce qu’il en coûterait à ce même Ontarien pour suivre un programme similaire à l’Université de Toronto (plus de 33 000 $ par année).
Certes, dans d’autres matières moins prisées, la hausse décrétée par Québec astreindra l’étudiant canadien non résident à un effort financier sensiblement plus important. Cependant, le coût de la vie étant éminemment moins élevé à Montréal qu’à Toronto ou Vancouver, cela constitue en soi un incitatif majeur pour choisir de s’installer dans la Ville aux cent clochers…
Bref, il est à prévoir que la mesure du gouvernement Legault n’aura qu’un effet minime, voire insignifiant, sur la taille de la population étudiante canadienne au Québec. Et même s’il en résultait une diminution appréciable du nombre de Canadiens inscrits à McGill ou à Concordia, ce qui paraît improbable, il y a fort à parier que les places ainsi libérées seraient facilement comblées par des étudiants québécois. Au problème de l’anglicisation indirecte par voie d’apports externes, se substituerait alors, tout simplement, le problème, déjà endémique, de l’anglicisation directe ou « organique » de la population locale elle-même.
S’agissant du nouveau prix plancher annuel de 20 000 $ prescrit aux étudiants étrangers, la mesure n’est rien d’autre qu’un coup d’épée dans l’eau. En général, McGill n’exige jamais moins que 20 000 $ de ses étudiants étrangers, peu importe le programme. À Concordia, la moyenne est de 25 000 $, selon Le Devoir.
Si le but du gouvernement Legault consiste à réduire significativement le nombre d’étudiants canadiens ou étrangers inscrits dans nos universités anglo-québécoises, je doute fort qu’il l’atteigne. Pour ce qui est d’assurer la « survie » du français à Montréal, on repassera…
Une ségrégation linguistique et institutionnelle qui ne dit pas son nom
J’aimerais aborder à présent la dimension financière et structurelle de l’enjeu qui nous occupe.
Il est évident – archi évident – que ce n’est pas avec cette énième réformette caquiste que l’on parviendra à combler le grave déficit de complétude institutionnelle dont souffrent nos universités de langue française comparativement au trio McGill-Concordia-Bishop… J’entends par « complétude institutionnelle », l’idée selon laquelle le rapport des forces entre francosphère et anglosphère sur le plan institutionnel (ici dans le monde universitaire) devrait, au strict minimum, refléter le poids relatif des francophones par rapport aux anglophones dans la population en général. Au chapître du financement universitaire, cela signifie que le secteur français devrait recevoir à peu près 90 % de la cagnotte, et le secteur anglais, 10 %. Or, tel n’a jamais été le cas. À l’heure actuelle, ces chiffres tournent plutôt autour de 70 % et 30 %, respectivement. Les universités françaises au Québec se trouvent donc en situation de sous-complétude institutionnelle, et les universités anglaises, de sur-complétude.
Si l’on s’en tient uniquement au financement public des universités ainsi qu’à leurs revenus de droits de scolarité, cette disparité, cette injustice pure se chiffrait, en 2017-2018, à près de 1,5 milliard de dollars annuellement. Or, par sa mesurette, le gouvernement de François Legault n’entend reverser que 100 millions au secteur français… Soit dit avec un soupçon d’ironie – voire une touche d’humour british –, on est loin, très loin du compte, Monsieur le comptable! De toute évidence, en matière d’enseignement supérieur au Québec, la ségrégation linguistique et institutionnelle au profit de l’anglosphère a encore de beaux jours devant elle… Sachant la vulnérabilité du français comme langue minoritaire au Canada et bientôt dans l’île de Montréal, une telle dynamique anglicisante est proprement intolérable, sans compter qu’elle s’accompagne d’une régression dramatique du statut et du prestige de l’UQÀM et de l’UdeM au profit de leurs concurrentes (voir « La chute de la maison UQÀM », par F. Lacroix, paru dans L’Action nationale). Ça ne peut plus continuer comme ça.
À l’échelle individuelle, cette iniquité criante, séquelle du colonialisme, récompense outrageusement le choix d’étudier en anglais. Comme le rapportent Marc Chevrier et Frédéric Lacroix, les universités anglaises au Québec disposaient, en 2020-2021, de 16 095 $ par étudiant équivalent temps plein (EETP), toutes sources de financement confondues. Pendant ce temps, du côté francophone, on se contentait d’un modeste 12 507 $ par étudiant, soit 29 % moins…
En tout état de cause, que les ségrégationnistes se rassurent! Cette injustice, si profitable à McGill et cie, n’est manifestement pas à la veille de disparaître. En effet, la CAQ se montre peu encline à s’y attaquer sérieusement. Dans ce contexte, difficile de croire aux paroles du premier ministre qui répète vouloir « renverser le déclin du français ». Nous le croirons plus volontiers lorsque son gouvernement 1) veillera à ce que, pour la première fois de leur histoire, nos universités de langue française comblent leur déficit de complétude institutionnelle, en recevant 90 % de l’ensemble du financement disponible (y compris fédéral); 2) rapatriera, comme promis, toutes compétences fédérales en immigration, entre autres pour que le Québec puisse décider de ses propres politiques quant à l’accueil des immigrants temporaires et des étudiants étrangers; 3) appuiera la création d’une véritable faculté de médecine à l’UQÀM; 4) reviendra sur sa décision éhontée de faire don de l’ancien Royal Vic à McGill, un cadeau d’une valeur d’un milliard; 5) appliquera la loi 101 au cégep, comme l’espère une majorité de Québécois. (Et j’en passe.)
L’effondrement moral du nationalisme fédéraliste
En renonçant à tout mettre en œuvre pour atteindre son propre objectif de « renverser le déclin du français », la CAQ achève ces jours-ci d’épuiser le peu de crédibilité qu’il pouvait encore rester au camp fédéraliste. Faut-il rappeler que les tenants du statu quo ont toujours fait reposer leurs prétentions sur une prémisse hasardeuse, à savoir qu’on pouvait assurer l’avenir du français et de la nation québécoise tout en restant à l’intérieur du carcan canadien… Or, voici que le plus nationaliste des gouvernements fédéralistes depuis l’ère Bourassa s’en montre incapable, soit par mollesse, soit par insouciance, soit par impuissance. Dans tous les cas, les caquistes sont entrain de faire la preuve que, loin de rimer, nationalisme et fédéralisme s’opposent et se contredisent radicalement. Car, on ne peut se dire nationaliste et, en même temps, accepter béatement le meurtrissement de la nation dans le tombeau de la fédération. On ne peut se dire nationaliste et, en même temps, laisser cours dans les faits au parachèvement du projet de Lord Durham.
En somme, j’ai bien l’impression qu’avec la CAQ, on assiste en direct, progressivement, à l’effondrement moral du « fédéralisme » québécois tel qu’on l’a connu. Une fois ce processus complété, le choix national qu’il nous restera sera on-ne-peut-plus-clair : agonie ou liberté?