Saint Jean-Baptiste est mort!

23 juin 2006

MICHEL VASTEL | LE JOURNAL DE QUÉBEC | 23/06/2006

Il n’y a plus de Fête «nationale» au Québec parce que, sans métropole, il n’y a pas de pays. Fini, les grands défilés. Fini, les concerts sur le Mont-Royal. Fini, les fleurdelisés aux balcons des duplex…

Pour la majorité des gens de Montréal, le 24 juin est devenu un jour de congé comme les autres. D’ailleurs, le ministère du Patrimoine canadien – qui ne rate pas une occasion de banaliser les célébrations proprement québécoises… – fête, subventionne, fourre dans le même panier des «célébrations du Canada», la journée nationale des Autochtones le 21 juin – créée en 1996 -, la journée canadienne du Multiculturalisme le 27 juin, – proclamée en 2002 -, la fête du Canada le 1er juillet, et la plus ancienne de toutes puisqu’elle remonte à 1636, la Saint-Jean.

Montréal fête de moins en moins la Saint-Jean-Baptiste, parce que la métropole est de moins en moins québécoise. Et surtout, il n’y a plus de Fête nationale à Montréal, parce qu’il n’y a plus d’attachement identitaire d’une grande partie des Montréalais au Québec et à ce qui le distingue, sa langue et sa culture.

Je ne veux pas jouer les nostalgiques – bien que je le sois vraiment aujourd’hui… – mais on ne voit plus à Montréal ces grandes fêtes rassembleuses, auxquelles toutes les communautés culturelles et même les Anglo-québécois participaient. Parce qu’il n’y a plus rien qui rassemble les Montréalais. Au contraire, la langue les divise comme au pire temps des affrontements des années 60 et 70.

J’ai suivi de près l’enquête du Journal sur le français à Montréal, parce qu’elle évoquait des situations que je vis moi-même quotidiennement. Je ne suis pas d’accord avec certains propos excessifs de Mario Beaulieu, président du nouveau Mouvement Montréal Français, mais sa campagne de sensibilisation était devenue nécessaire.

Lorsque je suis revenu à Montréal en 1995, après une vingtaine d’années passées en Ontario, je fus impressionné par les progrès du français dans la métropole. Je voyais avec émerveillement de jeunes néo-Québécois de nationalités et de langues différentes parler français entre eux, parce que c’était la seule langue qu’ils avaient en commun. Il y a dix ans, le français était vraiment devenu la lingua franca, la langue commune à tous.

Speak white

On ne s’en rend sans doute pas compte à Québec, encore moins à Saguenay ou à Saint-Georges de Beauce, mais c’est vrai que l’anglais s’est de nouveau imposé à Montréal, et de façon malsaine, allant parfois jusqu’à l’agressivité.

Depuis un an ou deux, et je ne sais pas ce qui a provoqué cela, il est de plus en plus fréquent de se faire parler en anglais dans des magasins et autres centres de service. On ne s’en excuse même plus — «sorry I don’t speak French». Et bientôt, on va revenir au fameux «speak white»!

Le plus préoccupant est qu’on retrouve ce comportement surtout chez les jeunes, qu’ils soient anglophones de souche ou allophones d’ailleurs. Il ne se passe pas de semaine sans que, au centre-ville de Montréal même, je ressente cette attitude comme une provocation, comme si mon interlocuteur me disait: «l’anglais est la langue de mon choix et je la parle, que cela te plaise ou non !»

Alors vous comprendrez que je n’aie pas tellement le coeur à la fête. La Société Saint Jean-Baptiste a d’ailleurs un peu contribué à cette disparition de la Fête nationale, en jouant les metteurs en scène et en abandonnant la rue et les grandes foules pour des spectacles conçus en fonction de la télévision. Et cette année, la concurrence est forte avec la visite de Madonna et le Grand Prix de Formule 1!

Plus de langue commune et plus de fête commune, que reste-t-il de la Saint Jean-Baptiste alors?

Le 24 juin est devenu une sorte de passage obligé pour politiciens en mal de votes: les leaders souverainistes ne manqueraient pas ce qu’il reste de défilé, les chefs des partis fédéralistes font un détour par le Québec – Jean Chrétien autrefois à Shawinigan, Stephen Harper cette année à Saint-Georges de Beauce.

Comparez notre Saint-Jean à la Fête du Canada, voire à la Saint-Patrick – qui ne célèbre pourtant que le patron d’une petite communauté -, et vous comprendrez que Saint Jean-Baptiste est bien mort!

Quelques dates…

  • 1636 — Pour la première fois à Québec, les colons français (ils ne sont que 200!) allument un feu de la Saint-Jean.
  • 1834 — Ludger Duvernay, fondateur de la Société Saint Jean-Baptiste, organise un premier «dîner patriotique», qui réunit francophones et anglophones. La Saint-Jean devient progressivement la fête des Canadiens français puis celle des Québécois.
  • 1908 — Le Pape, Pie X, fait officiellement de Saint Jean-Baptiste le patron des Canadiens français.
  • 1968 — Le traditionnel défilé de la Saint-Jean, à Montréal, donne lieu à de violents affrontements entre militants nationalistes et la police à cheval de la ville. Pierre Trudeau, debout sur une tribune du Parc Lafontaine, défie la foule. Le lendemain, il est élu premier ministre du Canada!
  • 1975 — Grand concert sur le Mont-Royal, au cours duquel Gilles Vigneault crée la chansonGens de mon pays.
  • 1977 — Le premier gouvernement du Parti québécois (René Lévesque) fait du 24 juin la «Fête nationale du Québec».
  • 1990 — L’Accord du lac Meech, reconnaissant le caractère distinct du Québec, vient d’être rejeté. Un demi-million de Québécois envahit les Plaines d’Abraham à Québec, l’Île Sainte-Hélène et la rue Sherbrooke à Montréal.

 

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