Sur le projet de « cité universitaire de classe mondiale » – R. Laplante

08 juillet 2023

Par Robert Laplante, directeur de l’Action nationale.

La chose ne manque pas d’être surprenante. Que vient faire la Caisse de dépôt et placement dans la configuration du système universitaire ? Le gouvernement du Québec vient d’annoncer que la Caisse et sa filiale immobilière, Ivanhoé Cambridge, se voient confier le mandat « d’étudier la mise sur pied d’une cité interuniversitaire de classe mondiale » sur une partie du site du Royal Victoria. Une cité au service de qui ? Au service de quoi ?

Québec a choisi de mettre la charrue devant les boeufs. À moins qu’il ne veuille bonifier son cadeau à McGill, on ne voit pas très bien comment la requalification du site pourrait servir le système universitaire du Québec sans que soit d’abord défini le projet institutionnel et intellectuel que cette cité devrait servir.

Ce projet, ce devrait être celui de la création de l’Université internationale de la Francophonie. C’est au ministère de l’Enseignement supérieur qu’il faut d’abord confier le mandat d’en élaborer la forme et le contenu. Une institution d’une telle envergure devrait fédérer l’ensemble des universités françaises de Montréal et du Québec pour en faire le lieu par excellence de rayonnement du savoir et des compétences québécoises. Un lieu également pour attirer et faire travailler ensemble les forces vives des établissements universitaires de toute la Francophonie. C’est d’abord le projet qui fera de la cité universitaire un équipement de « classe mondiale », pas les choix d’aménagement et l’augmentation de l’offre d’hébergement pour étudiants.

Il faut une institution phare pour donner à Montréal les moyens et le prestige associés à une ville universitaire au rayonnement international. Non seulement l’Université internationale de la Francophonie deviendrait-elle la clé de voûte du système universitaire québécois, elle incarnerait, en surplomb du centre-ville, le symbole, la force et l’affirmation du caractère français de la métropole. À l’heure où tous les indicateurs sont au rouge concernant le déclin du français, une telle institution deviendra un puissant instrument de francisation du centre-ville. En attirant des étudiants, des chercheurs et des professeurs de toute la Francophonie, l’Université Jean-Marc-Léger, comme nous avons suggéré de la nommer en hommage à l’un des grands pionniers des institutions de la Francophonie, va contribuer à augmenter la masse critique de locuteurs français.

Plus encore, à l’heure où le gouvernement du Québec a choisi de faire du recrutement de l’immigration francophone sa priorité et de viser le recrutement de candidats se situant dans le haut de l’échelle des revenus, l’Université internationale de la Francophonie ouvrira des possibilités inédites. Et la cité universitaire pourrait devenir le lieu par excellence pour ouvrir Montréal et le Québec à l’immense potentiel de coopération avec le monde francophone.

On ne le sait que trop bien, dans beaucoup de milieux, l’expression « classe mondiale » est une locution codée pour laisser entendre qu’il faudra bien céder devant l’anglosphère. C’est ce qui se cache derrière l’omission de préciser quel projet universitaire et institutionnel devra servir la cité universitaire projetée. On ne voit pas très bien en quoi une cité universitaire attirant encore plus d’étudiants anglophones contribuerait au renforcement du caractère français de la métropole. On voit encore moins pourquoi des fonds publics devraient lui être consacrés.

L’annonce gouvernementale de ce partenariat public-public, comme le mentionne le communiqué, renvoie à une immense bêtise ou à une censure. Avant de penser au contenant, il faut penser au contenu. C’est pourquoi nous demandons instamment au gouvernement du Québec de mandater, sous l’égide du ministère de l’Enseignement supérieur, un groupe de travail qui aura pour mission de dessiner les contours de la grande institution que mérite le système universitaire québécois. Il faut le faire avec des ressources et un calendrier de travail assez court pour que les intendants chargés de l’immobilier sachent ce qu’ils auront à faire pour donner une âme aux bâtiments, un style aux aménagements et une vocation aux immeubles.

En créant l’Université internationale de la Francophonie, l’Université Jean-Marc-Léger, le gouvernement du Québec viendrait compléter la contribution du Québec à la construction d’une Francophonie forte. Un équipement de classe mondiale se doit de servir des ambitions et finalités qui sont en parfaite continuité et résonance avec le positionnement international du Québec. Le ministère des Relations internationales et de la Francophonie y trouverait l’axe stratégique qui lui manque. Accroître sa présence au monde, c’est bien, mais le faire en ayant quelque chose à proposer qui soit plus inspirant que les statistiques du commerce et de l’investissement, c’est mieux.

Le destin national du Québec est indissociable de son insertion dans les divers écosystèmes et instances qui ordonnent les échanges entre les nations. Le gouvernement du Québec n’a pas à se comporter en boutiquier pour faire du projet de cité universitaire une misérable affaire immobilière. S’il ne s’élève pas à la hauteur exigée par les conditions du développement du Québec comme nation française fière et confiante en ses propres institutions, il ne fera du projet de la montagne qu’un décevant projet régional. L’anglosphère le grignotera au rythme de l’anglicisation et du recul du français. Pis encore, cela le condamnera à n’être qu’un faible concurrent de ce que les États-Unis sont en mesure d’offrir de mieux.

Il y a un rendez-vous dans cette ambition de se hisser à l’échelle internationale. Il serait désolant de voir le gouvernement Legault le rater par manque de vision. Par manque d’ambition. Et, surtout, par démission devant le potentiel d’exemplarité que pourrait incarner l’Université internationale de la Francophonie.

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Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.

(Crédit photo : Valérian Mazataud, Le Devoir.)

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