Le français aux études supérieures: «Un tataouinage suicidaire» – C. Castonguay

10 septembre 2025

[Ce texte est également paru dans le site de L’Aut’journal.]

Par Charles Castonguay.

Quelle place pour le français aux études supérieures? La question remonte à loin. Dès son congrès de 1988, le Parti Québécois proposait d’étendre la loi 101 au cégep. On a réussi à tourner en rond là-dessus jusqu’à aujourd’hui.

Libre-choix au cégep. Un suicide linguistique (Éditions du Renouveau québécois, 2017) réunit mes chroniques à ce sujet. J’en avais déduit que maintenir le caractère français du Québec exige la loi 101 au collégial.

Dans son rapport de novembre dernier, le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, propose un autre arrangement. Examinons-le.

Le lien béton entre langue des études et langue de travail

L’avenir du français passe par franciser la langue de travail. Cela fait consensus depuis le rapport Gendron (1973). Cela inclinerait, entre autres, un nouvel arrivant qui ignore le français à se l’approprier. Pas simplement à l’apprendre. À le faire sien.

À l’opposé, que l’anglais continue à y occuper une place excessive garantirait le résultat contraire. L’anglicisation du Québec.

Or, une enquête menée en 2001-2002 par l’Office québécois de la langue française démontre que « La langue des études pertinentes à l’exercice d’un métier ou d’une profession a un lien indéniable avec la langue ensuite utilisée sur le marché du travail. » (Virginie Moffet et al., Langue de travail dans les grandes entreprises au Québec, OQLF, 2008). Franciser la langue de travail passe donc, à son tour, par réduire la place démesurée de l’anglais aux études collégiales et universitaires.

Moffet signale notamment que parmi les travailleurs qui ont étudié en français, 90 % travaillent principalement en français, contre 40 % parmi ceux qui ont étudié en anglais. Chez les travailleurs allophones dans la région de Montréal, les pourcentages correspondants sont de 72 et 22. Un écart de 50 points dans les deux cas. Le constat est concluant.

L’OQLF a cependant retardé la publication de l’étude Moffet. Pire, dans son bilan de la situation linguistique en 2008, l’Office passe sous silence ses résultats relevés ci-dessus. Le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) a épaissi l’écran de fumée. Son président a prétendu que « le cégep ne change rien » quant à la langue de travail (La Presse, 15 décembre 2009), sur la foi d’une analyse bidon dépourvue de la moindre donnée sur la langue des études collégiales.

Vingt ans à confirmer le même constat

L’Institut de recherche sur le français en Amérique a remis les pendules à l’heure. Dans La langue d’enseignement… et après (IRFA, 2010), Robert Maheu résume les résultats pertinents de « L’Enquête nationale auprès des diplômés » menée par Statistique Canada en 2007. Ils confirment qu’il existe « une relation claire entre la langue des études supérieures et la langue de travail ». En particulier, 95 % des diplômés d’un cégep français travaillent par la suite en français, comparé à 50 % des diplômés d’un cégep anglais. Un écart très proche de celui constaté par Moffet.

Une autre enquête menée dans sept des principaux cégeps sur l’île de Montréal démontre que la fréquentation d’un cégep anglais est liée à des comportements nettement anglicisés dans tous les créneaux d’activité, publics comme privés (Patrick Sabourin et al.Le choix anglicisant, IRFA, 2010). Entre autres, parmi les étudiants qui ont un emploi, 89 % de ceux au cégep français travaillent principalement en français, contre 43 % de ceux au cégep anglais. Encore l’écart Moffet.

L’appariement du recensement de 2016 avec des enquêtes de Statistique Canada sur les diplômés postsecondaires reconfirme l’ensemble des constats de Moffet (Étienne Lemyre, La langue de travail des diplômés d’établissements postsecondaires, Statistique Canada, 2022). Tout particulièrement ceux concernant les diplômés francophones et allophones.

Suite au recensement de 2021, une étude semblable de Dubreuil re-reconfirme le « lien étroit » entre langue des études supérieures et langue de travail. Il en ressort que, parmi les travailleurs qui ont obtenu leur dernier diplôme (cégep ou baccalauréat) en français, 90 % travaillent principalement en français, comparé à 38 % parmi ceux ayant étudié en anglais. Encore et toujours Moffet. L’écart est spécialement marqué parmi les universitaires, soit de 88 contre 30 %.

Toutefois, Dubreuil ne mentionne nulle part ni Moffet ni Maheu. Et Sabourin, que de l’extrême bout des lèvres. Puisqu’il refuse de distinguer entre groupes linguistiques, il ne précise rien quant au lien en question chez les allophones ou francophones. Ni, a fortiori, quant au rapport ultime entre langue des études, langue de travail et langue d’assimilation.

Il n’en reste pas moins que, de façon globale, le lien entre langue des études supérieures et langue de travail demeure aussi puissant aujourd’hui qu’en 2001-2002. On tarde singulièrement à s’en prévaloir. À franciser la langue de travail en rééquilibrant la place des établissements français et anglais au cégep et au bac.

Finir de bretter

Dubreuil relève qu’à l’heure actuelle, 78 % des étudiants font leurs études supérieures dans un établissement français, comparé à 22 % dans un établissement anglais. Franciser adéquatement la langue des études supérieures commande de ramener ces parts respectives à 90 % et 10 %, comme l’a fait la loi 101 au primaire et au secondaire. En ligne avec le rapport de neuf à un du français à l’anglais au sein de la population.

À défaut de quoi la place disproportionnée de l’anglais aux études supérieures continuera à angliciser la langue de travail. Et, de là, le Québec tout court.

Mais Dubreuil propose autre chose. Il ne croit pas « qu’il soit nécessaire, pour stabiliser la situation du français et consolider sa place comme langue commune, de ramener la place de l’anglais dans l’enseignement supérieur à celle qu’il occupe au primaire et au secondaire. »

Il considère plutôt que de maintenir le libre choix de l’établissement postsecondaire, en visant toutefois 85 % d’enseignement en français, « permettrait d’assurer la prédominance du français dans l’enseignement supérieur, y compris à Montréal, tout en reconnaissant l’importance d’accorder à l’anglais un espace raisonnable pour répondre aux besoins des étudiants, des établissements [de langue anglaise] et de la société québécoise. »

Or, garantir la simple prédominance du français n’équivaut pas à stabiliser sa situation ni à renforcer sa place comme langue commune. Il faudrait que le commissaire au français, seule langue commune, se branche. Quelle finalité vise-t-il au juste ? Assurer un espace « raisonnable » à l’anglais?

Quant au 85 % que propose Dubreuil, cela paraît nettement trop faible au vu de l’anglicisation qui s’emballe au Québec depuis 2001. D’autant plus que son 85 % ne représente pas uniquement la part des établissements français dans l’enseignement supérieur.

En effet, il englobe aussi des cours donnés en français dans des établissements anglais. L’incidence de pareils cours sur la langue de travail ultérieure demeure au mieux hypothétique, alors qu’en cette matière, le puissant effet francisant d’étudier dans un établissement français a été confirmé jusqu’à plus soif.

Dubreuil a précisé sa pensée en conférence de presse. « [L]e fait qu’il y ait des Québécois qui soient exposés à l’anglais dans l’enseignement supérieur, des Québécois francophones, en soi, ce n’est pas un problème. Pour moi, ce qui compte vraiment, c’est que les forces à terme s’équilibrent pour que la situation linguistique soit stable. Donc, il faut trouver des manières de répondre aux besoins des gens, de faire de l’immersion anglaise, par exemple, d’être dans des contextes anglophones tout en s’assurant qu’on minimise le risque, à l’échelle globale, [que] le français s’affaiblisse. C’est ça vraiment qu’on cherche à faire, là. On cherche à maintenir ces deux objectifs-là en même temps. »

Un commissaire au libre choix avec ça?

 

 

 

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