Nous vous invitons fortement à prendre connaissance de cet article ô combien éclairant du professeur Marc Chevrier et du chercheur Frédéric Lacroix sur la surcomplétude de l’enseignement supérieur anglais au Québec, d’hier à aujourd’hui.
En voici un extrait :
La surcomplétude des établissements anglais de l’enseignement supérieur au Québec n’est pas le fruit du hasard, et bien loin de s’amenuiser, elle s’est accrue sur l’île de Montréal. La loi 96 mettra un certain frein à l’essor des cégeps anglais, mais sans rien enlever à leur position dominante sur l’échiquier collégial montréalais. Elle risque plutôt de confirmer leur vocation élitiste, voire oligarchique, axée sur la formation préuniversitaire destinée aux meilleurs candidats ; les cégeps français, délaissés par une bonne part des allophones scolarisés en français et même par des francophones attirés par l’anglosphère, se rabattent sur les formations courtes et le secteur technique. Dans un marché dérégulé aux étudiants, les universités anglaises, fortes de leurs avantages acquis qu’entérine une formule de financement des universités aveugle aux inégalités de développement et au retard toujours persistant des francophones au chapitre de la diplomation universitaire, consolident leur avance et voient même Concordia détrôner l’UQAM sur l’échiquier universitaire montréalais. La surcomplétude des institutions anglaises de l’enseignement supérieur conduit ainsi à la minoration systémique des institutions de langue française, du fait même des choix de politique poursuivis par l’état du Québec depuis les débuts de la Révolution tranquille. Un des choix lourds de conséquences a été de conditionner la création d’une nouvelle université française à Montréal à la constitution symétrique d’une université anglaise, alors que les besoins se trouvaient essentiellement du côté français. Autre choix conséquent, celui d’instituer une Université du Québec qui ne troublerait pas la position dominante des universités à charte établies et qui ajouterait des universités minores qui serviraient la régionalisation de l’offre universitaire plutôt que la correction des inégalités de développement entre les réseaux anglais et français. La surcomplétude des institutions anglaises, qu’exacerbe aussi l’État fédéral par ses politiques intrusives de subventions, se nourrit de l’engouement des allophones et d’une partie des francophones pour leurs programmes en anglais, et se réclame d’un mythique « libre choix » qu’aucun droit formel ne consacre toutefois. D’ailleurs, dans les cégeps comme dans les universités « anglophones », les membres de la communauté anglaise, les ayants droit, sont minoritaires, signe que l’anglais est devenu pour ces allophones et francophones une langue d’intégration à la majorité continentale. Autrement dit, si la loi 96 a proclamé le français langue commune de la nation québécoise, il reste que dans l’ordre de l’enseignement supérieur, deux langues nationales concurrentes se disputent l’esprit et le coeur de la jeunesse québécoise, et ce, avec la bénédiction des pouvoirs publics.
Ce texte fait partie d’un dossier plus vaste de la revue Enjeux et société dont le dernier numéro est entièrement consacré aux enjeux de l’anglicisation de nos cégeps et universités. Voir : Volume 11, numéro 1, hiver 2024, sous la direction de Virginie Hébert et Linda Cardinal (accessible sur Érudit).