La vitalité de notre langue et de notre culture

12 novembre 2021

Paul Duclos, professeur, Saguenay

C’est une juste colère qu’a provoquée cette semaine le PDG d’Air Canada avec son discours en anglais et sa boutade sur le français. C’était une juste colère qui nous animait, l’été dernier, quand nous avons appris qu’une unilingue anglophone deviendrait cheffe de l’État. Avec le déclin démographique des francophones et notre poids dans la fédération qui diminue, nous ne sortirons pas de sitôt de notre colère, car ces controverses annoncent ce qui vient. À défaut d’agir pendant que nous pouvons encore le faire, notre colère finira par verser dans le ressentiment, et nous ne serons bientôt plus qu’un cadavre aigri.

Les initiatives nationalistes du gouvernement Legault suscitent un fort engouement. Le projet de loi 96 envoie un message fort. On doit louer l’audace du gouvernement, même si d’aucuns pensent qu’il devrait aussi étendre la Charte de la langue française aux cégeps. Je n’ai pas d’objection à ce que l’on tente de protéger le français par des textes de loi, mais que cela ne nous fasse pas oublier l’essentiel : le salut de la nation québécoise ne viendra pas de mesures coercitives. Il ne viendra pas non plus des tours de passe-passe que nous imaginerons pour amender unilatéralement la Constitution en y insérant des articles symboliques. Il viendra de la vitalité de notre langue et de notre culture.

Nous sommes à un moment décisif de notre histoire. Le gouvernement Legault est peut-être le dernier gouvernement nationaliste à bénéficier d’un aussi fort capital de sympathie. Une opportunité en or lui est offerte pour prendre des mesures qui assureront réellement la pérennité de notre nation et de notre langue. La volonté d’agir ne semble pas lui faire défaut, si l’on se fie aux publicités qu’il fait circuler ces jours-ci sur la fierté de parler français. Encore ne faut-il pas s’en tenir à des opérations de communication éphémères.

La volonté d’agir doit se traduire par des investissements massifs dans la promotion de la culture. Je souligne : de la culture, et pas seulement du secteur culturel de l’économie. Car ce sont les œuvres que nous serons capables d’imposer et l’enthousiasme que celles-ci inspireront, qui nous rendront notre fierté et notre vitalité. Jamais nous ne convaincrons nos concitoyens d’apprendre le français si nous ne leur faisons pressentir ce qui leur manque, quand leur manque l’usage de notre langue.

Nous sommes une petite nation, certes, mais elle possède un fonds immense. Nous n’arriverons à rien en persistant à refuser cet héritage. La Nouvelle-France est un trésor d’un magnétisme dont on connait peu d’équivalents dans l’histoire universelle. Imaginez un peuple né du rêve d’un homme — Champlain. Imaginez ce peuple, composé de saints, de héros et d’aventuriers, régnant sur un empire plus grand que ne l’ont jamais été ceux d’Alexandre, de César, de Napoléon. Ce peuple, ces saints, ces héros, cet empire, c’est nous.

Il nous appartient de nous rendre maîtres de ce patrimoine immatériel. La Conquête ne nous en a rien ôté. Ce n’est pas une honte de perdre une guerre en défendant notre patrie. Virgile le poète épique, lorsqu’il a voulu immortaliser la gloire de Rome en cherchant à surpasser les épopées d’Homère, a fait descendre son héros Énée des Troyens et non des Grecs qui étaient sortis victorieux de la guerre de Troie. Ce n’est pas non plus une honte d’avoir survécu pendant des siècles à la plus grande adversité. La honte, c’est de se laisser mourir apathiques, tandis que nous pouvons encore agir utilement, et de prendre notre faiblesse pour une fatalité. Nous sommes nés du rêve et de l’action, nous mourrons de ne plus savoir rêver et agir.

Pourquoi faut-il que nos meilleurs artistes, au lieu de faire fructifier notre héritage dont la redécouverte seule peut nous rendre notre fierté et notre vitalité, partent faire carrière à l’étranger, dans une langue étrangère ? L’épopée d’Iberville, par exemple, n’a rien à envier à celle, futuriste et interplanétaire, de Dune, que Denis Villeneuve vient de porter sur nos écrans. Guy Frégault, l’un de nos meilleurs historiens, écrivait : « Tout cela dépasse la commune mesure et côtoie le merveilleux de si près que des historiens n’ont pu se défendre de tenir pour légendaires certains faits que rapportent des documents qui résistent à la critique la plus serrée ». Quel artiste en parle, pourtant ? Aucun ! Black Robe, le meilleur film réalisé sur la Nouvelle-France, a été fait par un Australien. Et le mythique Jean de Brébeuf, l’un de ces sommets d’humanité dont nous devrions nous enorgueillir, n’a jamais inspiré qu’un romancier du Canada anglais, Joseph Boyden.

Nous ne sommes pas tenus de donner raison à Lord Durham, au PDG d’Air Canada et à tous ceux qui nous méprisent. Le gouvernement Legault doit aller au-delà des réponses marketing sur la fierté de parler français, et saisir l’opportunité historique qui se présente à lui afin d’entreprendre un virage significatif dans la promotion de la culture.

Partager cet article :