Lettre amicale au SFPQ en vue des États généraux de la fonction publique

06 septembre 2024

Monsieur le président du SFPQ,
Cher Christian,

Je vous remercie de votre aimable invitation à contribuer aux prochains États généraux de la fonction publique. Aussi je vous félicite pour cette initiative importante qui est tout à l’honneur de votre organisation.

Introduction
Fondé en 1972, le Mouvement Québec français (MQF) est excessivement fier de compter parmi les alliés et partenaires de toujours du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ). Il y a lieu de rappeler que votre syndicat figure comme l’un des piliers de la renaissance de notre mouvement en 2011. Un siège honorifique vous est d’ailleurs toujours réservé au sein de notre conseil d’administration. Cela n’a rien d’un hasard.

Aux côtés de la FTQ, de la CSN, de la CSQ et de la FAE, le SFPQ fait également partie des membres fondateurs de la table de concertation « Partenaires pour un Québec français (PQF) », créée en 2012 sous l’impulsion de la SSJB et du nouveau MQF naissant. En pause depuis l’an dernier, cette vaste coalition syndicale et citoyenne, coordonnée par nos soins, aura joué un rôle clé dans l’avènement de la réforme de 2022. Voici d’ailleurs reproduite [cliquez ici] la plus récente version de la Plateforme des PQF, sous la forme de 54 recommandations dont le SFPQ est cosignataire.

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Nos ressources étant actuellement plutôt limitées, nous nous en tiendrons ici à quelques remarques essentielles.

D’entrée de jeu, nous ne saurions trop insister sur l’importance que le SFPQ travaille de concert avec le Commissaire à la langue française et l’Office québécois de la langue française (OQLF) pour tout ce qui se rapporte à la mise en œuvre des normes et principes de la Charte de la langue française (C.l.f.)de ses règlements ainsi que de la Politique linguistique de l’État, auxquels il y a lieu d’ajouter les dispositions de droit fondamental – trop souvent négligées – que sont, primo, les nouveaux articles 90Q.1 et 90Q.2 de la Loi constitutionnelle de 1867 (LC1867), segundol’article 8 de la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec (loi 99), RLRQ c. E-20.2, et tertio, les articles 3.19.1 et 50 de la Charte des droits et libertés de la personne (C.d.l.p.). Entre autres normes et principes à observer, soulignons au premier chef le respect – à commencer par la non-violation – du statut du français en tant que seule langue officielle du Québec, ce statut étant à présent enchâssé dans la constitution. Notons également le devoir d’exemplarité linguistique qui incombe à l’Administration publique dans son ensemble. Enfin, il y a le rôle névralgique de votre syndicat en tant que chien de garde du droit linguistique fondamental de vos membres de gagner leur pain en français au Québec, et en français seulement.

1. Le piétinement du français dans les conventions collectives de la fonction publique
Parlant du droit linguistique fondamental de tout travailleur d’exercer son emploi dans la seule langue officielle du Québec, le MQF s’explique fort mal que le SFPQ puisse encore souscrire certaines dispositions de portée générale à l’effet exactement contraire.

Soit la clause 1-4.27 de la Convention collective du personnel de bureau, techniciens et ouvriers de l’Agence du revenu du Québec 2020-2026 (région Montréal-Laval-Montérégie) :

1-4.27 L’employé doit utiliser la ou les autres langues qu’il connaît aux fins de communication externe selon les besoins du service et conformément aux lois. [Soulignements ajoutés.]

À sa face même, cette clause ne saurait être considérée valide en droit, tellement elle paraît incompatible avec la plupart des dispositions de droit ordinaire et de droit fondamental que nous venons de citer.

Qu’un travailleur qui maîtrise l’espagnol emploie cette langue pour s’adresser à un bénéficiaire ne connaissant pas le français, cela peut aisément se concevoir. Cependant, pareille dérogation au principe du français, seule langue officielle, devrait constituer une exception de fait, et non une exception reconnue en droit. Dans tous les cas, rien ne justifie qu’il en découle une obligation formelle et impérative pour tout travailleur (« doit »), sans distinction aucune, de renoncer à ses propres droits linguistiques fondamentaux, sous prétexte qu’il « connaît[rait] » une autre langue…

À l’évidence, il s’agit là d’une entorse non seulement aux droits linguistiques fondamentaux garantis par la C.l.f. (Chapitre II) et par la C.d.l.p. (art. 3.1), mais aussi à la règle de l’exemplarité linguistique de l’État; aux cibles en matière de francisation des milieux de travail; au droit à un environnement linguistiquement normal, sécuritaire et sans discrimination (art. 45.1 C.l.f.); au statut constitutionnel du français comme seule langue officielle du Québec (art. 90Q.1 LC1867, art. 8 de la loi 99), et j’en passe.

À cela, s’ajoute le caractère éminemment imprécis du critère de « connaissance » linguistique. En effet, comment déterminer de manière objective qu’un employé « connaît » vraiment une autre langue? Et que signifie cette notion, au juste? Suffit-il de baragouiner l’anglais pour se voir obligé de l’utiliser au travail? Notons enfin que tout cela n’est pas sans incidence sur l’enjeu de la protection du public, celui-ci étant en droit de s’attendre à ce que l’Administration communique avec lui de manière intelligible, professionnelle et, sauf exception, dans la seule langue officielle du Québec.

RECOMMANDATION 1 : Le MQF engage donc le SFPQ à faire tomber toutes clauses – illégales – des conventions collectives auxquelles il est partie qui, de manière indistincte, obligent ses membres à utiliser une autre langue que le français dans l’exercice de leur emploi. Et s’il faut mener bataille sur le terrain juridique et judiciaire pour ce faire, le MQF en sera.
Dans la même veine, le MQF invite le SFPQ à veiller scrupuleusement au respect des dispositions de la Charte relatives aux offres d’emploi, aux processus d’embauche ainsi qu’aux conditions linguistiques du travail. Sauf exceptions crédibles et convaincantes, un employeur ne devrait jamais exiger d’un candidat à l’embauche qu’il le renseigne sur ses compétences linguistiques autres.

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Soit cette autre clause type rencontrée dans plusieurs conventions en vigueur :

1-4.26 Aucun employé n’est tenu d’utiliser une langue autre que le français aux fins de communication interne. [Tirée, encore là, de la Convention collective […] de l’Agence du revenu du Québec 2020-2026 (région Montréal-Laval-Montérégie).]

Que l’on prémunisse les employés de la fonction publique contre toute pression à parler une autre langue que la langue officielle, cela va de soi. C’est même la moindre des choses.

Mais, fait amusant, tandis que la clause 1-4.27, que nous venons de voir, oblige indistinctement tout travailleur (« doit ») à s’adresser au public dans une langue autre que le français dès lors qu’il semble en posséder la connaissance, on ne rencontre à la clause 1-4.26 aucune espèce de devoir, pas même moral, d’utiliser le français (pourtant seule langue officielle du Québec, faut-il le rappeler) comme langue de communication interne des milieux de travail concernés… Autant dire que le principe du français, « langue normale et habituelle du travail » (préambule et art. 161 C.l.f.) ne trouve formellement aucun écho parmi les normes qui, au cœur même de notre Administration publique, encadrent et régissent les relations de travail. C’est pour le moins étonnant!

RECOMMANDATION 2 : Le MQF engage donc le SFPQ à faire inscrire dans toutes conventions collectives auxquelles il est partie une disposition stipulant que « le français, seule langue officielle du Québec et langue commune de la nation québécoise, constitue également la langue normale et habituelle des milieux de travail, ce pour quoi l’administration publique doit observer un devoir d’exemplarité ». (Formulation suggérée.)

2. Considérations générales
En sa qualité de fiduciaire des intérêts de de ses membres, et plus largement en tant qu’acteur clé de la société québécoise, le SFPQ porte une énorme responsabilité vis-à-vis du destin de notre langue nationale, de l’avancement du statut du français et de la défense des droits linguistiques fondamentaux des travailleurs québécois. En ces temps critiques pour la vitalité de notre langue commune, cette responsabilité revêt une gravité accrue, qui commande vision et courage. D’où l’impérieuse nécessité que les positions de principe auxquelles adhère déjà votre syndicat ne souffrent d’aucune compromission.

RECOMMANDATION 3 : Ainsi, le MQF engage le SFPQ à maintenir, à raffermir et à mettre activement en œuvre ses prises de position contre l’anglo-bilinguisation de l’appareil public québécois.

RECOMMANDATION 4 : Le MQF engage le SFPQ à garantir le plein exercice des droits linguistiques fondamentaux de ses membres.
C’est au nom de ce même principe que le SFPQ doit refuser, coûte que coûte, que l’Administration s’autorise à utiliser une autre langue que le français dans ses communications avec le public, nonobstant tous les cas pour lesquels la loi 96 énonce qu’elle le « peut » (art. 21.4, 21.5, 21.6, 22.2, 22.3, 88.2 al. 2 C.l.f.). En effet, il y a tout lieu de s’opposer à ce nouveau « pouvoir » discrétionnaire de l’Administration, en ce qu’il tend à normaliser les pratiques d’anglo-bilinguisme institutionnel qui sévissent déjà dans l’appareil public et parapublic, en plus de presser les travailleurs à renoncer à leurs droits linguistiques fondamentaux. Cela nous paraît compatible avec l’engagement pris par le SFPQ au titre de la recommandation no 10 de la Plateforme des PQF, savoir : « […] que les services de la fonction publique du Québec soient offerts exclusivement en français […] ». Bien entendu, les présents commentaires s’appliquent à l’Administration en général, et non aux organismes visés par l’article 29.1 de la Charte.

RECOMMANDATION 5 : Le MQF engage le SFPQ à exiger de véritables redditions de compte sur la francisation et les pratiques linguistiques de l’Administration, qui puissent nous renseigner notamment sur les coûts réels de l’anglais et l’anglo-bilinguisme institutionnel pour l’appareil public et parapublic québécois, de même que sur le respect des droits linguistiques fondamentaux des travailleurs.

3. Considérations particulières
N’en doutez pas, le MQF est parfaitement conscient des défis et difficultés pratiques liés à la mise en œuvre des principes ici invoqués. Par exemple, que devrait donc faire un agent au comptoir de la SAAQ en présence d’un contribuable s’estimant en droit qu’on le serve en anglais, exactement comme s’il s’adressait à l’administration fédérale?

Loin de nous la prétention d’avoir toutes les réponses à ce genre de questionnements. Pour y voir plus clair, interrogeons-nous d’abord sur ce qui se cache derrière une telle attente normative de la part de la clientèle, et sur les raisons qui poussent plus d’un fonctionnaire à s’y résoudre.

Après consultation auprès de plusieurs membres et anciens membres de la fonction publique, voici, en vrac, les causes que nous avons pu identifier. Il y a premièrement cette pente glissante entre bilinguisme individuel et bilinguisme institutionnel, par laquelle le moindre signe de compétence en anglais chez un fonctionnaire devient prétexte à abus. Il s’ensuit une normalisation de facto de la langue de Durham comme langue des services et du travail, niant par le fait même le statut de notre langue nationale ainsi que les droits linguistiques fondamentaux des travailleurs. Ce problème est aggravé par l’injustice diglossique – d’autres parlent de bilinguisme colonial – qui caractérise bien la dynamique des langues en ce pays, où l’anglais parvient partout à faire sa loi en s’imposant de manière systémique comme default language et langue hégémonique, cela aux dépens du français (et des langues autochtones, mais c’est une autre histoire). Cette supériorité perçue de l’anglais est telle qu’il peut s’avérer difficile pour un fonctionnaire d’y résister dans le feu de l’action. Un autre facteur réside sans doute dans la méconnaissance, parmi la population, de ce qu’est vraiment le Québec; l’ignorance de son histoire, de ses institutions et certes de sa langue officielle, en particulier chez les nouveaux arrivants anglotropes. C’est sans compter la concurrence nuisible et déloyale du modèle d’aménagement linguistique fédéral, avec ses bonjour-hi et ses bienvenue-welcome. S’ajoutent enfin le relatif manque de formation de nos fonctionnaires pour faire face aux situations délicates sur le terrain et, en amont, le manque de vision de nos dirigeants quant au rôle actif de l’Administration en tant que vecteur de francisation, d’intégration et d’immersion linguistique.

RECOMMANDATION 6 : Le MQF engage le SFPQ à trouver des moyens légitimes pour limiter les attentes normatives d’une partie du public à se faire servir facilement et systématiquement en anglais. Cela pourrait se traduire, entre autres, par une vaste campagne d’affichage et de sensibilisation au statut du français et aux droits linguistiques fondamentaux des travailleurs. En outre, le MQF invite le SFPQ à s’attaquer aux sources du réflexe de servitude volontaire à l’anglais, encore trop présent dans la psyché québécoise, y compris chez nos plus vaillants fonctionnaires.

RECOMMANDATION 7 : Le MQF recommande fortement au SFPQ que des formations obligatoires de haut niveau soient offertes à l’ensemble des fonctionnaires du service à la clientèle sur les meilleures pratiques en matière d’exemplarité linguistique.

RECOMMANDATION 8 : De l’avis du MQF, le devoir d’exemplarité linguistique de l’Administration induit par définition un rôle actif en tant que vecteur de francisation et d’intégration au quotidien. Dans l’idéal, il s’agirait de favoriser une immersion effective des allophones dans la vie publique québécoise. Un tel concept pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une politique officielle. Suivant cette vision des choses, toute communication entre l’Administration et un contribuable allophone devrait se concevoir, en elle-même, comme un élément d’une expérience immersive. Et pour cause, il ne suffit guère à un immigrant de suivre des cours de français pour en acquérir la maîtrise; encore faut-il s’y confronter dans le monde réel, ce à quoi nos organismes publics devraient concourir, dans la bonne humeur et dans le respect de tout un chacun.

RECOMMANDATION 9 : Outre le recours à un interprète ou encore l’intervention d’un tiers allié, le MQF invite le SFPQ à explorer les possibilités qu’offre la traduction simultanée par IA, lorsqu’il s’agit de communiquer – dans sa langue maternelle, et non en anglais – avec une personne incapable de parler français.

4. Le SFPQ et le destin du Québec français
Au-delà de sa mission strictement syndicale, le SFPQ se prononce régulièrement sur divers enjeux d’actualité et de politiques publiques. Or, s’agissant du français, on ne saurait éluder certaines grandes questions qui emportent toutes celles déjà discutées.

Cela ne fait pour nous aucun doute. En demeurant dans le carcan canadien, le Québec français se condamne à la déchéance et à la folklorisation. Il est donc impératif d’en sortir.

RECOMMANDATION 10 : Dans le contexte du retour de la question nationale à l’ordre du jour politique et médiatique, le MQF engage le SFPQ à prendre position en faveur de l’indépendance nationale, et à créer un comité de réflexion sur le rôle de notre fonction publique dans l’éventuelle transition vers ce statut politique.

Enfin, le SFPQ devrait prendre position sur certaines questions brûlantes concernant l’avenir du français, à commencer par le débat entourant l’application de la loi 101 au cégep.

RECOMMANDATION 11 : Le MQF engage le SFPQ à l’appuyer dans ses combats phares pour l’application de la loi 101 au cégep et pour combler le déficit de complétude institutionnelle qu’accusent nos universités de langue française par rapport aux établissements de l’anglosphère.

Conclusion
En vous remerciant d’avoir porté attention à la présente, je vous laisse, cher Christian, sur ces sages paroles de feu Fernand Daoust, qui fut sans conteste l’un de nos plus grands syndicalistes :

« Nous avons toujours su que ce statut [du français] ne serait jamais établi dans la pérennité tant qu’il n’aurait pas pour assise un pays pleinement souverain. En attendant, notre position minoritaire dans la mer anglophone qu’est l’Amérique, au nord du Mexique, nous condamnent… à la plus grande des fermetés » [Cité par Charles Castonguay, Le Français, langue commune, Montréal, Renouveau québécois, 2013, à la page 30.]

Pour toute question, n’hésitez pas à communiquer avec le soussigné.

D’ici la tenue de vos États généraux, nous nous réservons le droit de retravailler le texte qui précède, qui n’est qu’un premier jet.

Sur ce, je vous prie d’agréer, Monsieur le président, mes salutations solidaires et patriotiques,

Maxime Laporte, président.

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