Ce matin dans Le Devoir, notre président, Me Maxime Laporte, réagit à la publication du rapport du commissaire à la langue française, M. Benoît Dubreuil. Voici reproduit le texte en question.
Le rapport Dubreuil. Une Occasion manquée
Par Maxime Laporte
L’auteur est avocat et président du Mouvement Québec français (MQF)
Vous dire combien j’avais hâte de lire l’analyse statutaire du commissaire à la langue française sur la situation linguistique au Québec, rendue publique la semaine dernière… Mes espérances se conjuguent désormais à l’imparfait.
Étoffé et remarquable sous plusieurs aspects, le rapport que signe Benoît Dubreuil fait l’impasse sur la criante nécessité d’étendre les dispositions scolaires de la Charte de la langue française au niveau collégial. C’est là un bien étrange choix de la part d’un commissaire indépendant. Car, sauf nos dirigeants actuels — et peut-être la Fédération des cégeps, dont on sait le biais —, cette proposition phare reçoit l’appui d’une majorité de Québécois ainsi que de nombreux experts et personnalités respectés. Qu’il suffise ici d’évoquer le nom de l’éminent Guy Rocher, l’un des pères de la loi 101. Il aura fallu plusieurs décennies de débats et de luttes citoyennes pour en arriver à ce quasi-consensus qui, chaque jour, se dessine un peu plus, mais que M. Dubreuil réduit à des « discussions animées ». Ben coudonc !
Pour nous du Mouvement Québec français, qui avons tant milité pour la création de la fonction qu’il occupe aujourd’hui, voilà qui est décevant, c’est le moins que l’on puisse dire.
Sans raison valable, le commissaire préfère s’inspirer de certaines politiques développées depuis 2022 par la Generalitat de Catalunya, lesquelles sont loin d’avoir fait leurs preuves… Outre la Catalogne, le rapport trace plusieurs parallèles avec le Pays basque et l’Irlande. Le hic, c’est que ces nations admirables, historiquement opprimées, sont tout sauf normales sur le plan linguistique. Or, le but de la politique linguistique québécoise depuis 1977 n’a jamais été de gérer notre anormalité linguistique, mais bien d’en sortir ! Car, comme disait René Lévesque, « dans une société normale, la langue, elle se parle toute seule », c’est-à-dire que les substitutions linguistiques se font naturellement vers la langue nationale.
Au lieu de se comparer à des sociétés linguistiquement anormales, minoritaires, assimilées ou en voie de l’être, on aurait avantage à s’inspirer de ce que font les sociétés linguistiquement normales, en particulier celles ayant réussi leur processus de normalisation linguistique. On constaterait alors que dans ces sociétés (sauf exceptions légitimes), ô surprise, la langue des institutions d’enseignement supérieur correspond presque invariablement à la langue nationale… Enfin, il y a lieu de rappeler qu’à la différence du basque, du catalan ou du gaélique irlandais, le français s’impose comme une grande langue internationale ; un atout indéniable pour le Québec.
Les autres recommandations consistent pour la plupart en des mesures administratives, plutôt légères, je dois dire, qu’un futur gouvernement régressiste en matière linguistique — libéral, par exemple — pourrait renverser dès son arrivée au pouvoir. Bien que valables en théorie, et intéressantes sur le plan sociolinguistique, de telles mesures n’auraient pas la force d’une norme structurante, qui puisse percoler durablement dans les esprits et les comportements linguistiques, comme ce fut le cas de la loi 101 en 1977 et comme ce serait le cas de l’application de la loi 101 au cégep et au premier cycle universitaire. Autrement dit, le parachèvement de notre décolonisation suppose encore quelques (tranquilles) révolutions.
Enfin, notons que le commissaire n’aborde ni la question du français, langue de l’État, ni celle du français, langue de l’affichage commercial, pourtant indissociables de la question plus générale du statut et de la vitalité du français comme langue commune, dont parle le rapport. Dommage. Quant à la nécessité de faire la plus large part aux francophones dans la sélection de l’immigration — ce à quoi le Mouvement Québec français souscrit —, n’oublions pas que cette mesure témoigne en vérité de notre échec objectif à faire du Québec une société linguistiquement normale, où la « francisation » puisse s’accomplir de manière à peu près organique.
Cet échec signe surtout la fin du vieux mensonge fédéraliste quant à la viabilité à long terme du Québec français à l’intérieur du carcan canadien. Outre l’application de la loi 101 au cégep et au premier cycle universitaire, je mets donc au défi le commissaire de recommander explicitement dans son prochain rapport que le Québec accède à l’indépendance nationale, seule véritable solution pour en finir un jour avec nos pataugeages.
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Crédit photo : Jacques Boissinot, La Presse canadienne.