Le Commissaire à la langue française (CLF), dont la création en 2022 résulte notamment de demandes du Mouvement Québec français (MQF), dévoile aujourd’hui six études complémentaires à l’édition d’avril 2024 du Rapport de l’OQLF sur l’évolution de la situation linguistique au Québec. Ces nouvelles études visent à approfondir les conclusions du rapport et à éclairer les mécanismes à l’origine du recul de l’usage du français au Québec. Elles servent aussi à appuyer les recommandations du prochain rapport de l’actuel Commissaire, M. Benoît Dubreuil, lesquelles seront déposées par la présidente de l’Assemblée nationale avant le 22 novembre 2024. Le MQF invite fortement le public à prendre connaissance de ces travaux.
Pour consulter les six études dont nous reproduisons une synthèse ci-après, cliquez ici.
Par la même occasion, le Commissaire a rendu public un document de nature plus théorique intitulé Analyse de la situation du français au Québec – Recension des écrits et cadre théorique.
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Synthèse des études
Le Commissaire à la langue française s’est posé six questions à la lecture du rapport quinquennal de l’Office québécois de la langue française. Les voici avec leur réponse.
Comment la situation linguistique a-t-elle évolué depuis 1971?
Entre 1971 et 2001, la situation du français s’est améliorée au Québec pour deux raisons : le départ d’une part importante de la population d’expression anglaise et l’adoption de la Charte de la langue française, qui a rehaussé le statut du français. Cette situation s’est inversée depuis le début des années 2000. En effet, l’utilisation du français a diminué dans la plupart des domaines de la vie sociale, alors que celle de l’anglais y a progressé. Le recul du français est notamment visible sur le marché du travail et dans le domaine de la culture. En raison des écarts générationnels observés, ce recul devrait se poursuivre ces prochaines années, à moins de changements structurels.
Qu’est-ce qui explique le recul du français au travail chez les jeunes entre 2001 et 2021?
Chez les jeunes de 25 à 39 ans, on observe un recul de l’utilisation du français au travail. Ce recul s’explique en partie par l’augmentation de la proportion, dans ce groupe démographique, des personnes issues de l’immigration et de celles ayant l’anglais comme première langue officielle parlée. Il s’explique également par l’utilisation moindre du français par les diplômés universitaires, les professionnels et les personnes actives dans certains secteurs d’emploi. Par ailleurs, une part du recul observé chez les millénariaux semble attribuable à d’autres facteurs que ceux mesurés dans le recensement.
Comment les caractéristiques linguistiques et migratoires des jeunes sont-elles liées à leurs choix linguistiques?
Parmi les jeunes de 18 à 34 ans, la plupart ont un niveau avancé en français et manifestent des attitudes positives envers cette langue. Néanmoins, on observe des écarts importants entre ces jeunes selon leurs caractéristiques linguistiques et migratoires. D’abord, les jeunes qui utilisent le français à la maison déclarent détenir des compétences supérieures en français et des attitudes plus positives à l’endroit de cette langue que ceux qui utilisent l’anglais. Ensuite, dans leur vie culturelle, les jeunes francophones sont très exposés à l’anglais, alors que les jeunes anglophones sont peu exposés au français. Dans leur vie professionnelle, la plupart des jeunes anglophones préfèrent travailler en anglais et plusieurs d’entre eux hésiteraient à postuler un emploi qui leur exigerait des compétences avancées en français. Finalement, parmi les francophones, les personnes de deuxième génération d’immigration ont un niveau de bilinguisme plus élevé et manifestent une plus grande indifférence linguistique que les autres groupes démographiques étudiés.
Comment les parcours scolaires des jeunes expliquent-ils l’utilisation du français au travail?
Plus un jeune a fréquenté des établissements d’enseignement de langue française tout au long du parcours scolaire, plus il est susceptible d’utiliser le français au travail. Ainsi, la probabilité de travailler le plus souvent en français est en moyenne de 87,7 % pour un jeune qui a fait toutes ses études primaires, secondaires, collégiales et universitaires en français. Cette probabilité diminue à 59,3 % pour celui qui a fait ses études universitaires en anglais, et à 32,4 % pour celui qui fait toutes ses études postsecondaires en anglais. De façon générale, les personnes issues de l’immigration sont moins susceptibles d’étudier en français et de travailler en français par la suite. C’est particulièrement le cas de celles originaires de pays qui ne sont pas de tradition française ou latine. Toutefois, l’influence des caractéristiques liées à l’immigration est fortement atténuée si les jeunes ont fait l’ensemble de leur parcours scolaire en français.
Qu’est-ce qui explique les écarts d’utilisation du français selon les secteurs d’emploi?
Plusieurs facteurs expliquent les écarts dans l’utilisation du français entre les différents secteurs d’emploi. L’un de ces facteurs est l’arrivée sur le marché du travail d’une main-d’œuvre plus anglophone. Un autre facteur explicatif est la croissance du nombre de travailleurs qui doivent interagir quotidiennement avec des personnes situées à l’extérieur du Québec. Dans certains secteurs, le recul du français se limite aux professionnels et aux gestionnaires, alors que dans d’autres, il touche l’ensemble des employés. Dans ces derniers secteurs, la présence d’une main-d’œuvre plus anglophone et l’augmentation des échanges avec l’extérieur du Québec rendent très difficile l’utilisation du français au travail.
Qu’est-ce qui explique la situation particulière du français dans les régions de Montréal et de Gatineau?
Dans les régions de Montréal et de Gatineau, le recul du français est étroitement associé à une diminution de la population francophone. Des différences importantes existent cependant entre ces deux régions. Dans la région de Montréal, le nombre de personnes qui travaillent principalement en français est resté plus ou moins stable par rapport au nombre de francophones qui y résident. Dans la région de Gatineau, le nombre de personnes qui travaillent en français a chuté de façon prononcée par rapport au nombre de francophones dans la main-d’œuvre. Cette chute est liée à la situation très défavorable au français qui est notamment observée dans l’administration publique fédérale.